Mory Kanté
Le nouvel album de Mory Kante, son 11ème, intitulé « La guinéenne », a pour thèmes récurrents l'optimisme et l'inspiration. La chanson du même nom, est aussi bien un témoignage d'amour à l'Afrique et à la Guinée qu'un trésor de conseils avisés sur la confiance, l'abnégation au travail, la gratitude et l'importance de préserver les traditions face à la modernité. La sagesse de Mory Kante est le fruit de ses nombreux voyages et de son implication auprès des populations, à l'image de son soutien aux initiatives de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (comme la campagne récente pour le milliard d'affamés chroniques), ou à celles de l'UNESCO et d'autres programmes d'aide aux réfugiés, pour sauver les forêts en danger et tenter de mettre fin à la pratique de l'excision. Le titre « La guinéenne » représente une première dans l'important catalogue de Mory Kante. C'est un hommage retentissant aux femmes de ce monde, trop souvent opprimées et négligées malgré tous leurs sacrifices, leur dévouement et le rôle central qu'elles jouent dans le développement des populations. « La guinéenne » est aussi un tour de force musical pour ce pionnier dont le travail a permis de façonner la voix de l'Afrique de l'ère post-coloniale, et qui est ainsi devenu l'un des interprètes les plus influents et les plus attachants de la musique africaine contemporaine. Mory Kanté est né en 1950 dans le village d'Albadariya dans la région du Kissidougou en Guinée. « Pour réellement me connaître » nous dit-il, « il faut véritablement apprécier le caractère authentique de mon histoire. Je suis griot, fils de griot, provenant de la famille Mande ». Mory Kanté nous raconte l'héritage de son statut de griot, ou djeli, véritable historien musical dont les connexions familiales remontent aux premiers jours de l'Empire Mandingue, qui imposera sa domination politique et culturelle en Afrique de l'Ouest dès le début du XIIIe siècle. « Djeli c'est le sang », nous dit Mory « l'essence de l'homme ». Mory Kanté est djeli des deux côtés de sa famille, son père (El Hadj Djelifode) était un Kanté, sa mère (Fatouma) une Kamisoko, tous deux issus de clans griots reconnus et originaires du Mali. Mory Kanté se souvient : « J'ai grandi entre ces deux familles et j'ai grandement bénéficié de la tradition orale pour mon expérience musicale. Je suis allé ensuite dans une école blanche puis dans une école coranique. J'ai donc eu trois types d'éducation en grandissant : griot, coranique et blanche ». Suite à l'indépendance de la Guinée en 1958, le père de Mory Kanté écrivit des chansons pour célébrer la naissance de la nouvelle nation, il sera d'ailleurs décoré en retour. Durant son enfance, Mory Kanté apprit le balafon puis la guitare et réalisa alors qu'il devait utiliser son talent dans la continuité des enseignements ancestraux, au-delà de l'accomplissement musical, afin de promouvoir la nation. Malgré son talent précoce, Mory garda les pieds sur terre - après tout, il n'était que le dernier de 38 enfants ! Poursuivant ses études à Bamako au Mali dès l'âge de 15 ans, il se retrouva bientôt dans The Apollos, groupe local mélangeant divers instruments traditionnels comme le balafon et le Ngoni (famille des luths) avec des instruments occidentaux. « Qu'est ce que la musique africaine ?» nous demande Mory en repensant à cette époque. « C'est de mettre des instruments traditionnels et modernes ensemble. C'est l'identité de la musique africaine. Avec le jazz, les musiques afro-cubaines, et celles des Caraïbes, du Moyen-Orient et du Maghreb. Notre identité repose sur cette association, avec le jazz et la pop tout particulièrement. » Peu de temps après, Mory débuta sa remarquable épopée dans le Rail Band de Bamako, qui innovait dans l'association de la tradition africaine et du style occidental. Depuis son intégration en 1971, Mory partagea la scène avec Salif Keita ou le guitariste virtuose Djelimady Tounkara. Au fil des années il apparut en tant que joueur de balafon, guitariste, batteur et chanteur... « J'ai tout joué mis à part les cuivres. J'étais un musicien polyvalent ». Au cours de ces années il apprit également à jouer de la harpe mandingue à 21 cordes et de la kora sous la direction du maître griot Batrou Sekou Diabaté à Bamako. Il révéla son talent naturel pour cet instrument, qu'il joue sur une pièce vieille de 80 ans donnée par Batrou Sekou. Mory deviendra par ailleurs le premier d'une longue série de musiciens africains à brancher la kora pour l'utiliser sous forme électrique dans un groupe contemporain. Bien que décriée au départ, cette innovation permit de donner une visibilité internationale à l'instrument, mais également à son interprète, puisque Mory Kanté sera nommé pour une série de récompenses honorant sa contribution à la musique africaine. Il fut également l'un des premiers artistes à remporter un Kora (prix distinguant les meilleurs artistes d'Afrique de l'Ouest), à ajouter à la liste de prix français, dont les Maracas d'Or et les Victoires de la Musique qu'il remporta à trois reprises. Mory arrêta l'aventure du Rail Band à la fin des années 70 pour se consacrer à une carrière solo, qu'il entama à Abidjan en Côte d'Ivoire. Il commença avec une base traditionnelle dans laquelle il incorpora la musique dance populaire du moment. Au moment de sa venue à Paris, au début des années 80, il définit la base d'un nouveau son visionnaire. Le tournant majeur de sa carrière vint avec le morceau « Yeke Yeke », cette adaptation d'une danse festive traditionnelle de son village, au rythme appuyé, qui bénéficiera désormais grâce à lui d'une production dance pop soignée, d'une section cuivre pleinement déployée, des accords d'une Kora électrique, le tout rehaussé de la voix perçante et puissante de Mory. Des albums comme « A Paris » et « 10 Kola Nuts » terminèrent d'asseoir la réputation de Mory comme un défricheur de la musique africaine, mais ce fut « Akwaba Beach » en 1987 qui fit le plus grand effet. Sa version rapide et électronique de « Yeke Yeke » domina les classements européens, notamment le Billboard américain, devenant la carte de visite de Mory partout dans le monde. 24 ans plus tard, au festival Mawazine de Rabat au Maroc, en 2011, une foule de 40 000 fans d'Afrique du Nord reprenait en choeur le morceau dans une transe indescriptible. Entre-temps, Mory avait déjà sorti 5 albums pendant sa période parisienne, et notamment l'hommage à ses racines acoustiques et traditionnelles, l'album « Sabou » en 2004. « La guinéenne » marque le retour de Mory Kante à la formule musicale emblématique du grand ensemble, ou big band. C'est également le retour de Mory en Guinée, où il a monté Nongo Village, un centre culturel avec des studios d'enregistrement, un hôtel, des restaurants, des boîtes de nuit, des salles de concert, insufflant un nouvel élan créatif dans la banlieue de Conakry qui porte son nom, Morykantea. Mory Kante enregistra les titres originaux du nouvel album « La guinéenne » à un moment charnière pour la Guinée, qui sort d'une période préoccupante de remous politiques. Le retour de Mory Kante, avec son statut d'entrepreneur, représente un témoignage de confiance envers son pays d'origine, inspiration principale de son nouvel opus. Mory Kante apporta les morceaux au producteur Philippe Avril, avec lequel il collabore étroitement, s'adjoignant l'aide d'une section de cuivre à 5 pièces venant du nord de la Norvège (aussi présente sur la tournée récente de Mory en Arctique) pour compléter l'album. Le résultat est un véritable mélange culturel aux racines du folklore authentique ouest-africain, qui étincelle grâce à la précision et au soin apportés par une production de haute volée. Les 10 morceaux de l'album proposent quelque chose en plus : conseils avertis et groove destinés à fédérer les esprits. Fort de ses 27 musiciens, le morceau « Yarabini » (ma famille) ouvre en grande pompe ce témoignage respectueux et paternel à la jeunesse guinéenne, soutenu par la mélodie et l'énergie des cuivres. « Tedekou », porté par le balafon, parle également de la jeunesse et célèbre les danses qui accompagnent les parades de séduction et les mariages en soulignant l'importance des vieilles traditions. Sur le chaleureux « Sikaa » aux airs latins, Mory Kante conseille à chacun de sonder les doutes que l'on peut ressentir à l'occasion d'un mariage ou d'un contrat d'affaires, afin d'éliminer tous ses questionnements personnels avant de s'engager. « Tu ne peux pas choisir ton frère » chante Mory Kante, « mais tu peux choisir ton épouse ou ton associé ». « Sarantan » montre une facette musicale emblématique de la Guinée, un mélange de flûte Fulani (ou flûte peul) et de balafon mandingue, qui procure un état de bonheur absolu. Ce groove joyeux nous met cependant en garde contre les personnes malhonnêtes et peu dignes de confiance qui se retrouvent dans nos sociétés à travers les époques. « Nodiche » met en garde de la même façon contre les hommes qui abusent des femmes Les femmes sont au centre des chansons. Le titre « La guinéenne » est une célébration majestueuse de ces « mères de l'humanité ». Mory Kanté chante un hommage aux femmes de ce monde qui nous ont « nourris, éduqués, servis, soignés et instruits ». Mory exprime sa reconnaissance de manière éloquente, avec beaucoup de conviction, et à point nommé, alors que le sujet de la situation préoccupante des femmes, longtemps relégué au second plan, devient une composante principale du discours politique en Afrique. Mory exprime également sa reconnaissance au Mali, où il a débuté sa carrière et tant appris dans sa jeunesse. « Malibala », reggae chaloupé et pentatonique classique des Bambara du Mali, est un témoignage de toute sa gratitude pour les maliens, des présidents aux citoyens, hommes et femmes, en passant par les musiciens. Il y chante « Je penserai à vous jusqu'à ma mort ». Le séjour du jeune Mory Kante au Mali lui donna l'opportunité de changer sa vie. Porté par les volutes funk du titre « Bedoke », Mory encourage les jeunes africains à chercher de telles opportunités dans leurs propres vies. « On a tous une chance d'arriver à construire une carrière. Il faut jute y être préparé », dit-il, soulignant l'importance de l'éducation, de l'humilité, du travail et d'une communication efficace comme moyens de s'y préparer. « La Guinéenne » se termine sur la chanson «Oh Oh Oh », inspirée d'une chanson traditionnelle guinéenne, portant malgré tout le message universel qui est à la base de l'engagement artistique de Mory Kante, message mis en valeur par des paroles en français et en espagnol, et par une production et une rythmique enlevées. La musique africaine moderne et la vie doivent commencer avec la tradition pour ensuite se retrouver dans le monde entier. C'est un message que cet artiste singulier met en application tous les jours de son extraordinaire destin. En savoir plus Partager : |