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Publié le 02/09/13


Syrie : Lettre ouverte de François Bayrou au Président de la République


Lettre ouverte au Président de la République

"Monsieur le Président,

Votre décision d'engager la France en Syrie est prise et l'attaque est imminente.

Je veux cependant vous dire à quel point cette décision est périlleuse. Cette décision est prise sans consultation du Parlement, à la différence de Cameron qui a respecté le refus des députés britanniques et aussi d'Obama qui a annoncé qu'il consulterait le CongrÚs et ne prendrait sa décision que dans dix jours.

Un tel pouvoir de décision sans consultation se justifie quand il y a urgence. Il est impensable cette fois-ci que le Parlement ne soit pas consulté.

Il y avait urgence au Mali. Il fallait agir dans la minute : vous l'avez décidé, vous avez bien fait, et je vous ai soutenu publiquement sans hésitation ni réserve.

En Syrie, la situation n'est pas la mĂȘme. S'il est peu de doute qu'il existe des armes chimiques (les mĂȘmes ont Ă©tĂ© si largement utilisĂ©es pendant la guerre de 14), les preuves indiscutables de la responsabilitĂ© de leur utilisation n'ont pas Ă©tĂ© apportĂ©es, comme l'a reconnu M. Cameron. Le fer et le feu continuent Ă  faire des deux cĂŽtĂ©s de nombreuses victimes.

Vous créez un précédent : vous allez intervenir sans mandat des Nations unies, sans nos alliés européens, sans l'Otan, dans une action bilatérale avec les Etats-Unis. Ce que la France reprochait en 2003 à Berlusconi, à Blair, à Aznar, elle va l'accomplir aujourd'hui. Comment interdire à d'autres demain des interventions unilatérales ?

Vous allez intervenir avec des buts incertains. Vous annoncez que vous ne voulez pas renverser Assad et peser sur l'issue du conflit !' C'est une déclaration diplomatiquement hypocrite et qui n'a pas de crédibilité.

Il ne s'agit pas d'un "avertissement" : il s'agit d'une intervention faite pour mettre à genoux le régime actuel (à bien des égards détestable) et donner la victoire à ses adversaires...

Qui sont ces adversaires ? A qui s'apprĂȘte-t-on Ă  donner la Syrie et de larges pans de la rĂ©gion? A des forces fondamentalistes engagĂ©es dans une entreprise globale d'instauration de l'islamisme politique, au coeur de l'affrontement sĂ©culaire et dĂ©sormais brĂ»lant entre sunnites et chiites.

Qui seront les victimes ? D'abord ceux que nous frapperons directement, militaires et parfois civils ; ensuite les communautĂ©s minoritaires en Syrie, les diffĂ©rentes communautĂ©s chiites, les communautĂ©s chrĂ©tiennes d'Orient (qui adressent une supplique unanime pour qu'on renonce Ă  cette attaque) ; enfin le Liban, dans l'existence et l'Ă©quilibre duquel nous avons une responsabilitĂ© historique et oĂč des forces françaises sont engagĂ©es - et exposĂ©es - dans le cadre de la Finul'

La frappe n'est pas non plus la seule solution.

Il est une gamme de rĂ©torsions, de poursuites et de sanctions, conduisant les coupables jusqu'au Tribunal pĂ©nal international, qui auraient le mĂȘme effet dissuasif sans exposer aux mĂȘmes risques. Et qui pourraient, elles, conduire Ă  la seule solution que l'on doive espĂ©rer, nĂ©gociation et solution politique protĂ©geant toutes les minoritĂ©s. La France a, vis-Ă -vis de la Syrie, du Liban et des communautĂ©s minoritaires religieuses et ethniques de la rĂ©gion, une responsabilitĂ© historique et affective.

Et la France a un devoir vis-Ă -vis d'elle-mĂȘme !

Nous avons construit une image de la France au travers des décennies : de de Gaulle à Jacques Chirac lors du drame irakien, nous étions le pays qui parlait avec tous, et protégeait l'essentiel. Et ce n'était pas seulement une image : c'était notre identité et notre réalité. C'était un patrimoine pour notre pays.

Monsieur le Président, nous étions nombreux à avoir mis de l'espoir en votre modération et votre équilibre. Vous engagez la France dans une voie périlleuse.

Je souhaite me tromper, mais je voulais vous dire que vous faites courir un grand risque à l'avenir de la Syrie, aux minorités, au Liban, et à une certaine idée de la France qui ne s'aligne pas.

François Bayrou."

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